Par : Daniel Robert, ing, LEED PA.
Chair 2022-2023 du comité CTTC (Comité de Transfert Technologique au Chapitre) à la Société ASHRAE Vice-président Sénior, projets spéciaux, Kolostat-Krome inc
Article tel que paru dans le magazine Gestion Immobilière, novembre 2023
Crédit photo: JBC Média par Foulques Delbar
Au cours des dernières décennies, plusieurs changements législatifs importants ont contraint l’utilisation de certains types de frigorigènes dans l’industrie du CVAC. En 1986, la signature par le Canada du protocole de Montréal marquait l’abandon des réfrigérants R-11 et R-12. A suivi en 2010 l’élimination du R-22, qui a modifié la conception de l’ensemble des systèmes CVAC dans le domaine de la climatisation pour le confort, tant en ce qui concerne les systèmes résidentiels que commerciaux, petits et grands.
Aujourd’hui, la plupart des systèmes fonctionnent avec du R-410A (résidentiel et commercial de petite et moyenne capacité), tandis que le marché des gros refroidisseurs utilise le R-134a. Malheureusement, tout cela va changer, et plus rapidement que vous ne le pensez !
Une nouvelle règlementation
En effet, avec la signature de l’amendement de Kigali (2015), ratifié par un grand nombre de pays, dont le Canada en 2020 et les États-Unis en 2022, la porte est montrée aux R-410A et R-134a. Avec un potentiel de réchauffement planétaire (PRP), ou en anglais Global Warming Potential (GWP), de 2088 pour le R-410A et de 1430 pour le R-134a, ni l’un ni l’autre de ces réfrigérants ne respecte la limite de 750 qu’impose la nouvelle règlementation. En effet, suivant l’accord, Environnement Canada et le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec interdiront, dès le 1 janvier 2025, que les refroidisseurs utilisant des réfrigérants ayant un PRP de plus de 750 soient manufacturés, distribués ou installés.
Des solutions de rechange
Les frigorigènes de la prochaine génération sont, pour la plupart, moins efficaces que ceux qu’ils remplaceront et peuvent être relativement dangereux, puisque certains sont légèrement inflammables. L’ASHRAE a développé le standard 34, qui classifie un grand nombre de réfrigérants disponibles en tenant compte de leur potentiel d’appauvrissement de la couche d’ozone (PACO), ou en anglais Ozone Depleting Potential (ODP), de leur PRP, de leur toxicité et de leur inflammabilité. Les réfrigérants peu ou non toxiques appartiennent à la classe A, tandis que ceux qui s’avèrent toxiques relèvent de la classe B. Pour tenir compte de leur inflammabilité, ils sont répartis dans les catégories 1, 2L, 2 ou 3, ceux de la catégorie 1 étant ininflammables et ceux de la catégorie 3, hautement inflammables. À titre d’exemple, le propane (oui, c’est un frigorigène, et il porte le numéro R-290) est classé A3, tandis que l’ammoniac (R-717) est classé B2L.
Malheureusement, les nouveaux frigorigènes ne sont pas parfaits et l’industrie a dû faire des compromis dans les solutions de rechange pour rencontrer les objectifs de réduction du réchauffement planétaire et remplacer les réfrigérants R-410A et R-134a, tous deux dans la catégorie A1.
Les différents manufacturiers considèrent le R-454B (PRP = 466), le R-32 (PRP = 677) et le R-452B (PRP = 676) comme remplacements au R-410A (PRP = 2088). Ces trois candidats appartiennent à la catégorie A2L, ils sont donc peu toxiques, mais possèdent une certaine inflammabilité. Vous comprendrez donc que les règles de sécurité entourant leur utilisation diffèrent des usages actuels en raison de leur dangerosité.
Quant au R-134a (PRP = 1430), principalement utilisé dans les refroidisseurs à vis ou centrifuge de grande capacité, les remplaçants sont le R-513A (PRP = 573) et le R-515B (PRP = 299), tous deux classés A1. Ces réfrigérants sont compatibles avec les technologies de compression similaires à celles présentement utilisées dans les refroidisseurs à pression positive. D’autres réfrigérants fonctionnant à basse pression (un peu comme le faisaient le R-11 et le R-123) pourraient être utilisés dans des refroidisseurs de grande capacité, soit le R-1233zd (PRP = 1), un réfrigérant A1, ou le R-514A (PRP = 2), un réfrigérant classé B1 (toxique). Ces deux candidats requièrent des refroidisseurs de nouvelle génération complètement différents de ceux qu’on retrouve présentement dans le marché.
Quelques complications
Comme indiqué ci-haut, les unités de toit, les splits à expansion directe, les unités VRF, les unités résidentielles ainsi que les refroidisseurs de petite à moyenne capacité utiliseront (presque) tous des réfrigérants de classe A2L, donc non ou peu toxiques, mais légèrement inflammables, un changement majeur par rapport aux frigorigènes A1 utilisés auparavant. L’ASHRAE a publié en 2022 le standard 15, qui élabore les bonnes pratiques d’installation et de manipulation des réfrigérants A2L. Ce standard a été adopté par plusieurs états américains (tels que la Californie et l’état de New York, pour n’en nommer que deux). Au Canada, c’est le code CSA B52, dont la dernière révision remonte à 2018, qui régit l’utilisation sécuritaire des frigorigènes. Élaboré à partir des bases du standard ASHRAE 15-2013, le B52-2018 limite considérablement l’utilisation de réfrigérants A2L dans les systèmes à risque de fuite élevé, dont font partie notamment les unités de toit, les splits et les unités VRF… Il y a donc une impasse et le nouveau code qui tient compte des dernières avancés est absolument requis.
Je vous rappelle que certains états et pays, dont nos voisins du sud, sont plus avancés dans le processus de remplacement des réfrigérants, et que les grands manufacturiers mettent déjà leur transition en place. Ici, Environnement Canada et le Ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs du Québec exigera dès 2025 l’utilisation de frigorigènes sous la barre des 750 de PRP dans les refroidisseurs, mais les autres systèmes de climatisation changeront nécessairement de réfrigérants, eux aussi, puisque les manufacturiers cesseront de produire ces unités pour répondre aux exigences des marchés les plus exigeants et/ou les plus volumineux.
La nécessité d’agir rapidement et de s’adapter
Il y a quand même de l’espoir, car le nouveau code B52-2023 est en revue finale. Suivant les informations que je détiens, le code devrait être entériné au Canada d’ici les prochains mois, possiblement en janvier 2024, et devrait définir, entre autres, le mode d’installation sécuritaire pour les systèmes fonctionnant au A2L. Au Québec, le B52-2023 deviendra force de loi six mois après sa publication, soit probablement quelques mois avant que de nombreux systèmes fonctionnant aux R410A et R134a soient forcés de disparaitre du marché. Espérons que la version finale du B52-2023 ne nous réservera pas de surprises de dernière minute ! Il est bon de savoir que la RBQ entend adopter le B52-2023 sans modifications supplémentaires, ce qui permettra de l’appliquer dès qu’il sera finalisé.
Considérant les longs délais de livraison des refroidisseurs, on comprendra qu’il ne reste que très peu de temps aux gestionnaires de bâtiment pour commander des équipements frigorifiques de la présente génération et ainsi éviter d’acheter des unités de nouvelle génération fonctionnant avec des réfrigérants A2L, qui nécessiteront vraisemblablement des modifications importantes et coûteuses des salles mécaniques.
Je suggère fortement aux gestionnaires d’immeubles de contacter rapidement leur consultant, entrepreneur en mécanique qualifié ou fournisseur de refroidisseurs afin de planifier correctement cette transition de réfrigérant, surtout si leur centrale de refroidissement actuelle est en fin de vie.
Là ne s’arrêtent pas vos maux de tête ! L’amendement de Kigali, auquel, rappelons-le, le Canada a souscrit, prévoit qu’en 2029, nous devrons réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’un autre cran (30 % de réduction). Il est à parier que la législation entourant l’utilisation des halocarbures sera revue assez rapidement. Regardez le PRP des nouveaux réfrigérants et vous comprendrez que très peu pourront continuer à être utilisés, si les cibles diminuent de nouveau. C’est pour cette raison que plusieurs appellent les frigorigènes de la prochaine génération des « réfrigérants de transition ». Seul l’avenir nous dira quels réfrigérants pourront être utilisés. Attendez-vous à entendre parler d’un nouveau groupe de frigorigènes : les HFO (hydrofluoroléfine), dont le PRP est souvent de 1. Peut-être que le CO2 (PRP = 1) prendra une place de choix et possiblement même le propane/R-290 (PRP = 3), mais il faudra que la législation soit proactive pour permettre aux gestionnaires de se préparer.
Le Canada revoit actuellement sa législation, mais le temps presse. Il est essentiel que les gestionnaires de bâtiments et les professionnels de l’industrie se préparent à ces changements majeurs qui auront un impact sur les équipements de climatisation et de réfrigération. La récréation est bel et bien terminée. Le futur de la climatisation et de la réfrigération se redéfinit. Il est plus que temps de se préparer à cette nouvelle réalité.